Dans le ventre de sa mère, le fœtus baigne en apesanteur dans un liquide protecteur. Il est nourri sans avoir besoin de demander. A priori, il ne vit pas de frustration. Au bout du terme, il doit sans doute se sentir un peu à l’étroit et peut-être ressentir une angoisse claustrophobique.
Dès qu’il sort de cette antre qui l’a accueilli et nourri, il va être soumis à de multiples traumatismes : lumière excessive, bruits divers plus ou moins agressifs, angoisse de tomber, frustrations plus ou moins pénibles… Heureusement, la plupart des mères vont veiller à ce que ce passage de la vie intra-utérine à la vie extra-utérine se fasse en douceur. Elles vont essayer de reproduire avec leurs bras, leur voix, leur psychisme, le contenant utérin. Mais petit à petit, le bébé va vivre des souffrances qui vont à la fois le perturber et le faire grandir. Le manque va imprimer sa marque et contrecarrer sa croyance en sa toute-puissance.
Dans l’utérus, il a pu croire qu’il était comme un Dieu qui crée la nourriture. Tout ce qui l’entoure est lui et n’existe que par lui. Il ne peut faire la différence entre ce qui est lui et ce qui est en dehors de lui. Il ne peut accéder à une pensée scientifique du monde, à une relation de cause à effet. Il doit sans doute vivre que son environnement fait partie de lui et qu’il commande tout ce qui l’entoure, que tout tourne autour de lui. Les psy parlent de l’omnipotence du nouveau-né ou de « sa majesté le bébé ». Il n’est donc pas dépendant de qui que ce soit puisque la personne qui s’occupe de lui est lui.
Bien sûr, l’illusion maintenue par « une suffisamment bonne mère », comme dirait Winnicott, va rapidement s’effriter et le confronter à l’impuissance. Il n’est pas créateur, mais créature, relié à cet autre qui détient le pouvoir de le frustrer ou de l’apaiser. C’est cette confrontation à la dépendance qui crée en chaque être humain une blessure narcissique qui ne se ferme pratiquement jamais.
Aujourd’hui, on parle beaucoup de ceux dont on dit qu’ils sont dépendants affectifs. J’aurais tendance à penser que nous le sommes tous et que nous nous en défendons différemment. Il n’y a pas de relation humaine sans dépendance. Ce qui peut permettre de moins en souffrir est d’établir avec l’autre un « bon » lien de dépendance. Il est donc important pour la construction du psychisme du nourrisson que sa mère ou la personne qui s’occupe de lui tente de créer, autant que possible, un climat propice au développement de ce « bon » lien de dépendance.
L’objectif du travail psychothérapeutique est donc de « réparer » ce qui a empêché l’instauration d’un bon lien de dépendance. Ce processus va se dérouler de façon sous-jacente grâce à la régularité des séances qui instaure un climat de confiance dans la relation entre le thérapeute et son patient. Au fil des séances, le patient dépose ce qui lui fait mal ou le dérange, et le thérapeute utilise sa capacité de rêverie pour aider à transformer ce qui est « toxique » en quelque chose d’assimilable et d’enrichissant. Heureusement, ce qui fait plaisir et rend heureux est aussi évoqué dans cet espace si particulier, apportant du positif qui soutient le travail précédent.